Hommage à Georges-Jean Arnaud par Jeanne Faivre d’Arcier

Le romancier français Georges-Jean Arnaud, auteur de plus de 400 titres dont la gigantesque saga de science-fiction La compagnie des glaces, est mort dimanche 26 avril 2020 à l’âge de 91 ans

Né en juillet 1928, G.J. Arnaud a publié ses centaines de livres sous plus d’une douzaine de pseudonymes(Saint-Gilles, Gil Darcy, Frédéric Mado, Gino Arnoldi, Ugo Solenza…). Publié sous le nom de Saint-Gilles (le nom de son village natal dans le Gard), son premier roman, «Ne tirez pas sur l’inspecteur», obtient le prix du Quai des Orfèvres en 1952. Il remporta de nombreux autres prix littéraires dont, en 1988, le prix RTL grand public pour «Les moulins à nuages».

 

 

Hommage à G J Arnaud par Jeanne Faivre d’Arcier

 

   Lorsque je l’ai rencontré dans un couloir du Fleuve Noir par l’intermédiaire de mon mari, Christian Garraud, qui dirigeait cette maison d’édition dans les années quatre-vingt-dix, j’ai confié à Georges Arnaud, la voix nouée par l’émotion, que j’avais dévoré « la Compagnie des Glaces » alors que je ne lisais jamais de SF et que je n’accrochais pas du tout avec ce genre. Il m’a répondu, avec un petit sourire malin : « Moi non plus. »

Il avait l’art, avec sa bonhommie et sa gentillesse naturelles, d’établir un contact immédiat avec les gens qu’il rencontrait.  C’était un homme d’un grande simplicité qui ne cachait pas qu’il avait ramé pour publier et qu’il écrivait beaucoup et vite, les premières années de sa carrière, parce qu’il vivait de sa plume. Après, le succès venant, il a «  pris son temps ». Façon de parler, puisqu’il écrivait 15 livres par an en moyenne et jusqu’à 27 une année de surchauffe. 416 romans publiés au cours de sa longue vie littéraire. Moi qui en ai publié une vingtaine en un peu plus de vingt ans, ça me donne le tournis !

GJ arnaud Polars

Surtout, la portée de son travail est immense. Et ce qui me concerne, je tiens « la Compagnie des Glaces » pour un pur chef d’œuvre qui vaut très largement le cycle de « Dune » de Franck Herbert ou «  Le Trône de Fer «  de George R.R. Martin. 

Par son ampleur d’abord : 98 romans écrits entre 1980 et 1992 puis entre 2005 et 2012, soit la plus longue saga de toute l’histoire de la SF. George Arnaud avec le souffle et la vista,  lui qui vous disait d’un ton rieur  qu’il était parti pour écrire un seul  volume — allez peut-être deux ou trois, tiens, pourquoi pas ! Cette saga magistrale a été publiée  au Fleuve Noir, dans deux éditions différentes, dont la mythique collection « Anticipation », puis à l’initiative de Christian Garraud, en intégrale d’une quinzaine de tomes illustrés par Jozelon, chacun regroupant plusieurs romans.

La puissance de son œuvre tient aussi à l’ampleur et au pari fou que représente le sujet : la lune explose, pour des raisons sur lesquelles l’auteur ne s’explique pas — et on s’en fout complètement d’ailleurs, on est happé par  l’histoire dès les premières pages. Les poussières et déchets liées à cette explosion lunaire retombent sur la terre et la recouvrent d’une sorte d’épaisse bulle grise qui masque le soleil et fait tomber la température aux alentours de moins cinquante degrés. Tout ce que nous connaissons disparaît, villes, continents, relief, repères, culture, histoire… Après cette Grande Panique, survenue quelque  trois cents ans avant le premier tome de la série, se met en place cahin-caha une nouvelle civilisation basée sur le chemin de fer à vapeur que dominent des compagnies ferroviaires possédées par quelques actionnaires richissimes qui ont mis en place sur la banquise,  pour leur plus grand profit, un immense réseau de voies ferrées parcourues par des trains de plusieurs kilomètres de long ; ils roulent au pas et une humanité grelottante et surexploitée s’y entasse sans avoir le droit de s’en éloigner. Ces millions de misérables survivent comme ils peuvent  dans des wagons inconfortables et glacés et sous d’immenses dômes de verre où tout est rationné — la nourriture, la chaleur, les plaisirs, la lecture, les spectacles… Les autres, les très rares privilégiés, obtiennent tout ce qu’ils veulent d’un claquement de doigt et se pavanent dans de grands loco-cars aussi fastueux que des palaces où s’édictent en petit comité les règles d’une dictature politico-militaire menée d’une poigné de fer par ces multinationales du rail qui se partagent les cinq continents ou ce qu’il en reste : la Transeuropéenne, la Panafricaine, la Panaméricaine etc. Elles se livrent à des guerres interminables pour  s’accaparer les ressources et justifier leur existence et elles détruisent systématiquement les oeuvres du passé qui aideraient les peuples à réfléchir et à se soulever contre un esclavage qui ne dit pas son nom.  Bien sûr, se dressent des opposants et des leaders, comme Lien Rag, le héros de la saga. Ce glaciologue cherche à exhumer les écrits et les œuvres d’art d’avant la Grande Panique et à comprendre pourquoi les « hommes du chaud », dont il fait partie, risquent la peine de mort s’ils fraient avec les Roux, ces peuplades nomades qui vivent sur la glace et se sont adaptées aux nouvelles conditions climatiques  grâce à leur épaisse fourrure et à leur mode de vie frugal, considéré comme primitif par des dominants foncièrement racistes.

Petite parenthèse, Georges Arnaud m’a invitée à dîner un soir chez lui avec sa femme,  dans sa jolie maison du Var, à l’occasion d’un salon littéraire. A l’époque, il avait une chienne épagneul qu’il adorait. Notre amour de chiens nous a rapprochés. Je me débrouille pour en coller dans tous mes livres, des clébards. Et j’ai eu le sentiment que la description qu’il faisait des Roux, de leur pelage lustré, de leur beauté, leur sensualité, leur élégance, leur robustesse, leur capacité à  survivre dans des environnements extrêmes, lui était inspirée par le lien qu’il avait noué avec cet animal.

Revenons à la Compagnie des Glaces. Un jour, degré par degré, la Terre se réchauffe, la glace fond et la vie sur la banquise est menacée de disparaître, balayée par la montée des eaux. Les hommes doivent alors s’adapter en un temps très court, deux ou trois décennies, à l’ébauche d’une existence  lacustre à laquelle ils ne sont pas du tout préparés.

Visionnaire Georges Arnaud ? Bien sûr. Mais aussi flamboyant, surdoué, apte à mêler l’anticipation, le polar, le thriller politique, l’espionnage ou la romance et à créer un univers profondément original.

Georges Arnaud était un écrivain populaire.  Il avait le rythme, la facilité, la capacité à tenir la distance d’un grand feuilletoniste comme Alexandre Dumas.  Il empoigne le lecteur et il ne le lâche pas au moyen d’une écriture simple, rapide, efficace. Rendons ici hommage à sa femme, Mado. Elle était professeur de lettres et travaillait humblement jour après jour, à  corriger, remettre en forme ce que son cheval fougueux de mari écrivait à toute vitesse, emporté par son imagination. C’est elle aussi, il l’a dit lui-même, qui lui a donné l’idée  d’installer la saga dans un univers glacé. Il avait horreur du froid et elle a pensé que son dégoût donnerait la note de base : ce ton particulier, empreint d’un mélange d’angoisse, de résignation devant des phénomènes implacables, mais aussi de révolte contre la tyrannie et d’espoir qui innerve la série et lui confère sa dimension unique. Quand Mado s’est noyée, sur une plage, près de leur domicile, il y a une dizaine d’années, je crois qu’il a cessé d’écrire. Du moins m’a-t-il confié, aux Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres en 2012, où un hommage lui était rendu, qu’il n’avait plus envie d’écrire.  

Je n’évoquerai qu’en passant le reste de son œuvre que je connais mal.  Nous avons eu un éditeur commun, l’Atalante. Il y a publié six romans policiers historiques comme il savait à merveille les trousser. Ils mettent en scène, dans le Paris de 1830, deux jumeaux clercs de notaire que leur métier, leur curiosité de belette et leur penchant à fouiller dans les secrets de famille amènent à débusquer des crimes et à résoudre des énigmes palpitantes.  Cette série est un bijou d’orfèvrerie : tout y est, la justesse d’une restitution documentaire quasiment balzacienne,  l’allant des personnages et leur malice, la vivacité du ton et des dialogues, la mécanique bien huilée des intrigues. Moi, je me serais damnée pour écrire un truc pareil. Et lui, il a fait ça presque nonchalamment, parmi tant d’autres livres…

GJ arnaud polars historique

Une dernière note, le concernant : il était modeste, mais il exigeait d’avoir le premier… et le dernier mot sur son oeuvre. Certains éditeurs ont cru pouvoir le guider, l’orienter. Ils se sont fait éconduire poliment et fermement, sans discussion possible. Il travaillait en duo avec sa femme, qui jouait auprès de lui le rôle de directrice littéraire. Personne d’autre, à ma connaissance, n’avait le droit d’intervenir sur ses textes.  Tel était Georges Arnaud : un homme délicieux, affable, mais entier. Un roc sous son apparence effacée.

RIP Monsieur Arnaud. Nous sommes des millions à regretter votre départ.    

 Jeanne Faivre d’Arcier

Enfantasme G J arnaud

30 réflexions sur “Hommage à Georges-Jean Arnaud par Jeanne Faivre d’Arcier

  1. Et bien quel hommage et quelle saga. Je me demandais pourquoi Pierre Faverolle avait commencé celle- ci ayant lu le Navire des Glaces dans un monde identique. Un seul livre. Il est clair qu’après avoir lu la description des livres, cela me donne aussi envie de m’y mettre. A 70 ans bientôt, je vais devoir partir à la découverte. Merci pour cette belle présentation et cet hommage d’un écrivain que je n’ai connu que par cette saga via Pierre 🙏

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  2. quel hommage le meilleur que j’ai eu à lire ces temps-ci.
    J’ai lu Arnaud en commençant par le cycle de la séparation puis la grandiose compagnie des glaces j’étais lecteur que de sf et puis le polar a pris sa place et j’ai pu apprécier ses romans policiers du fleuve..que dommage que le masque n’ait édité qu’une intégrale (préface brussolo et postface serge perraud)
    Retrouvons le dans ses écrits…
    jean pierre frey

    Aimé par 1 personne

  3. C’est curieux, c’est un auteur que je suis depuis ses presque débuts. J’en ai lu énorméments : tous ses polars du Fleuve Noir, ses espionnages, ses Angoisse, ses Gore, ses érotiques (eh oui!), les Saint Gille, enfin vous voyez, presque tout (j’ai 76 ans). Et curieusement (honte à moi) je n’ai jamais ouvert un seul « Compagnie des glaces » . Je dis honte à moi, car aimant autant ce grand auteur, comment ais-je pu laisser un pan considérable de son oeuvre de côté ? Peur de l’ampleur de la saga ? En tout cas je vais m’y mettre cvomme cela il me manquera peut être un peu moins.
    Merci pour votre hommage.

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  4. Salut Geneviève, c’est un superbe hommage pour un auteur que nous ne devons pas oublier. Comme tu le sais, je suis en train de lire La compagnie des glaces. Et pour rendre hommage à ce grand monsieur, j’ai ressorti un de ses romans que je vais lire en prévision d’un billet futur. BIZ

    Aimé par 2 personnes

  5. Merci Jeanne pour ce très bel hommage touchant et très personnel.
    Perso j’ai adoré sa « compagnie des glaces » , j’ai lu ses « chroniques glacières » et j’ai replongé avec la nouvelle époque de la compagnie des glaces.
    J’ai comme toi aimé ses polars historiques
    J’ai moins goûter ses romans d’espionnages
    Et j’ai lu aussi quelques autres polars et romans noirs.
    De grand monsieur méritait bien cet hommage sincère que tu lui rends

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